Trudeau est coincé dans le beau piège de Legault
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François Legault doit penser rêver. Justin Trudeau vient de s’exprimer en accord avec sa grande manœuvre constitutionnelle. Ainsi, la Constitution de Trudeau père aura finalement trouvé grâce aux yeux des nationalistes, car au moins, elle peut servir à… modifier la Constitution canadienne !
On dit en anglais : « set the cat among the pigeons » pour décrire une situation où on fout le bordel en garrochant un élément intrus et adversaire qui va chambouler une situation qui paraissait jusque-là calme. Ici, le chat est le ministre Simon Jolin-Barrette et les pigeons, le cabinet de Justin Trudeau.
Trudeau pris de court
Dans ce nouveau dossier constitutionnel, Justin Trudeau semble pris de court. Pourtant, c’était facile à prévoir. François Legault avait mis cartes sur table avant l’élection de 2018 : il voulait plus de pouvoirs en matière d’immigration, de culture et de langue.
Legault n’allait pas attendre la permission. Il vient de décider qu’il ira chercher plus de pouvoirs en changeant lui-même la Constitution. Ce faisant, Legault vient de prouver à nouveau qu’il est un fin stratège face à un gouvernement de dilettantes à Ottawa.
Le Bloc a déjà annoncé son intention de présenter une motion d’opposition pour forcer Trudeau et son caucus à voter en faveur de la loi 96. Ça risque de provoquer des flammèches, car autant des députés anglophones du Québec s’inquiètent, avec raison, au chapitre des droits linguistiques, autant des députés de l’Ouest canadien lorgnent avec intérêt cette nouvelle possibilité de changer la Constitution à leur façon.
Bouchard a réussi
Chacun sa Constitution, quoi ! Mais, en fait, c’est plus qu’une boutade, car c’est le fondement de l’argumentaire de la CAQ : une province peut modifier unilatéralement la Constitution canadienne si c’est pour changer sa propre Constitution ; et c’est elle qui décide ce qui est sa propre Constitution.
Lorsque Lucien Bouchard a proposé un changement constitutionnel pour remplacer nos commissions scolaires protestantes et catholiques par des établissements anglophones et francophones, il a réussi en ayant recours à l’article 43 de la Constitution de 1982, qui exige une motion de la Chambre des communes et du Sénat.
Legault prétend qu’il n’a pas besoin de faire ça, car il modifie juste la « Constitution du Québec » et donc, il peut utiliser un autre article, l’article 45, et procéder unilatéralement.
En fait, changer le nom de la législature du Québec en « Assemblée nationale » ou se débarrasser de notre « Sénat », c’est changer la Constitution du Québec. S’il s’agit de droits linguistiques, c’est l’article 43 qui doit être suivi, comme Bouchard l’a fait. Mais là où Bouchard avait besoin de la modification, Legault semble vouloir prouver son point, peu importe comment.
La langue de la justice
C’est effectivement au chapitre de la langue de la justice et des lois que ça va se corser. Tant ici, au Québec, qu’au Manitoba, les lois doivent être votées dans les deux langues, les procédures parlementaires sont bilingues et les citoyens ont un droit constitutionnel d’avoir recours aux tribunaux dans les deux langues.
Une loi s’interprète dans son contexte. La loi 96 continue une guerre larvée entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif sur la langue des tribunaux au Québec.
Jolin-Barrette entend utiliser le pouvoir législatif pour se donner raison. Les modifications restreignant la possibilité d’utiliser les deux langues, au Code civil et dans d’autres lois, seront aussi sous la loupe et risquent de forcer Trudeau à se raviser… au plus grand plaisir de Legault !